L’inflation

Alan Guth
Alan Guth, actuellement au Massachusetts Institute of Technology, concepteur du premier modèle d’inflation en 1979

Au temps 10-43 seconde, la gravitation, qui était jusque là unifiée aux trois autres interactions, se dissocie, c’est la fin de l’ère de Planck. L’Univers est dans un état de vide quantique. La matière ordinaire n’existe pas, mais il y a une formidable agitation due à la création et à la disparition de particules et d’antiparticules virtuelles.

Si ce n’est cette fantastique agitation, rien de notable ne se passe jusqu’au temps 10-35 seconde, lorsque sonne l’heure de la dissociation des interactions forte et électrofaible. C’est à ce moment que va commencer une phase cruciale du Big Bang, l’ère inflationnaire, pendant laquelle la taille de l’Univers va être multipliée par un facteur gigantesque.

Le concept de période inflationnaire est relativement récent. Il fut d’abord imaginé au début des années 1980 par l’Américain Alan Guth, puis développé par d’autres astrophysiciens, en particulier le Russe Andrei Linde. L’inflation reste la partie la plus spéculative de notre description du Big Bang. Cela dit, cette théorie répond de façon satisfaisante à deux problèmes cosmologiques, l’homogénéité et la platitude de l’Univers et la platitude de l’Univers, qui n’avaient pas trouvé de solution jusque là.

Les transitions de phase

Pour comprendre ce qui se passe, commençons par une analogie. Le comportement de l’Univers lorsque l’inflation se déclenche rappelle celui de l’eau qui se solidifie et se transforme en glace.

Les deux états, eau liquide et glace, ont des propriétés très différentes. Par exemple, sous sa forme liquide l’eau n’a pas de structure et prend la forme du récipient qui la contient, alors que sous sa forme solide elle devient un cristal, un arrangement très régulier de molécules. Une autre différence apparaît au niveau de la symétrie : l’eau liquide à des propriétés identiques dans toutes les directions, alors que la glace privilégie les axes de cristallisation.

Dans le langage du physicien, l’eau liquide et la glace sont deux phases différentes et la transformation de l’une en l’autre s’appelle une transition de phase. Dans des conditions de refroidissement habituelles, la cristallisation se produit dès que la température atteint zéro degré Celsius. Elle se produit alors en douceur, avec un lent dégagement d’une certaine quantité d’énergie appelée chaleur latente.

Il existe cependant un cas particulier appelé la surfusion dans lequel les choses se passent différemment. Dans un environnement extrêmement stable, une eau très pure peut être refroidie et atteindre une température négative sans pour autant se solidifier. Cette situation est cependant très instable et il suffit d’agiter légèrement l’eau pour que la cristallisation s’opère instantanément avec une libération de chaleur latente très rapide.

Une transition de phase dans l’Univers

Le phénomène qui se produit lorsque l’Univers est âgé de 10-35 seconde est similaire. C’est à cette époque que les forces forte et électrofaible jusque là unifiées se dissocient. On passe d’une situation symétrique où les deux forces étaient une à une situation asymétrique où elles sont différentes. L’Univers subit donc, comme l’eau qui se solidifie, une transition de phase.

Cette transition de phase devrait s’opérer immédiatement, mais l’Univers va d’abord passer par un stade de surfusion. Il va rester pendant une brève période dans une phase symétrique instable, appelée le faux vide, plutôt que d’adopter tout de suite la phase asymétrique stable, le vrai vide.

Le faux vide, un état équivalent à l’eau surfondue, se caractérise essentiellement par la présence d’une très grande densité d’énergie en tout point de l’Univers, ce qui va avoir un effet crucial sur son évolution. En effet, d’après la relativité générale, cette énergie omniprésente va se traduire par une force de répulsion extrêmement puissante. L’Univers subit en conséquence une expansion rapide et brutale à laquelle on a donné le nom d’inflation.

Cette expansion dure jusqu’à ce que l’Univers subisse finalement sa transition de phase. Il atteint alors un état stable, tout en libérant une formidable quantité d’énergie. Cela se produit à une époque qui n’est pas encore bien définie, disons vers 10-32 seconde.

Une inflation prodigieuse

Pendant l’ère inflationnaire, la taille de l’Univers a été multipliée par un facteur 1026 (donc 1078 en volume), ce qui est énorme comparé au rythme actuel de l’expansion. Depuis l’apparition des atomes, vers l’âge de 300.000 ans, la taille de l’Univers observable n’a été multipliée que par un facteur mille en 13,7 milliards d’années.

Remarquons encore que même si l’inflation se produit à un rythme prodigieux, elle ne transgresse pas la relativité restreinte qui énonce que rien ne se déplace plus vite que la lumière. En effet, c’est l’espace lui-même qui subit l’inflation. La distance entre deux particules augmente à un rythme débridé du fait de l’expansion de l’espace. Par rapport à l’espace lui-même comme point de référence, la vitesse des particules devrait toujours être inférieure à celle de la lumière.


Mis à jour le 24 août 2020 par Olivier Esslinger