L’âge sombre de l’Univers

La polarisation du rayonnement fossile observée par Planck
La polarisation du rayonnement fossile observée par Planck. La couleur représente les infimes variations de température du rayonnement fossile. La texture représente la direction de la polarisation du rayonnement (ou pour être plus précis de la fraction polarisée de ce rayonnement). Crédit : ESA et la collaboration Planck

L’âge sombre de l’Univers est l’ère qui commence avec le découplage rayonnement-matière, 380.000 ans après le Big Bang, et pendant laquelle l’Univers ne contient pas d’étoiles. La seule lumière présente est donc celle du rayonnement fossile. Cet âge sombre finit avec la formation des premières étoiles qui vont peu à peu illuminer l’Univers et commencer à former les éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium.

Le satellite Planck

L’analyse des données du satellite Planck a permis d’affiner certains paramètres déjà bien connus comme l’âge de l’Univers, mais a également fourni pour la première fois des informations précises sur cet âge sombre grâce à l’observation de la polarisation du rayonnement fossile.

Rappelons que, d’un point de vue ondulatoire, la lumière représente la propagation d’une onde électromagnétique, c’est-à-dire d’oscillations des champs électrique et magnétique. La polarisation décrit alors la façon dont la direction du champ électrique change avec le temps. Une polarisation rectiligne représente une direction d’oscillation fixe du champ électrique, alors qu’une polarisation circulaire indique une direction d’oscillation en rotation.

La manière dont la polarisation du rayonnement fossile varie selon la direction du ciel nous permet d’analyser certains processus qui ont modifié ce rayonnement pendant les milliards d’années qui nous séparent de sa naissance. Elle nous donne en particulier accès à la période la plus mal connue : l’âge sombre.

L’analyse de la polarisation du rayonnement fossile nous permet ainsi de remonter à cette époque très reculée en mettant en évidence le moment où l’ionisation de l’Univers devient suffisamment prononcée pour laisser une empreinte détectable. Les observations de Planck indiquent que cette réionisation de l’Univers devient notable 550 millions d’années après le Big Bang.

Alors que l’Univers ne contient que des atomes pendant cette période, le rayonnement des premières étoiles contribue à ioniser leur environnement, c’est-à-dire casser les atomes pour former des nuages d’électrons et de protons. C’est en traversant de tels nuages que le rayonnement fossile gagne une certaine polarisation qui peut encore être détectée de nos jours.

Les étoiles les plus âgées

L’âge sombre de l’Univers est l’époque de la formation des premières étoiles. A l’heure actuelle, l’une des étoile les plus âgées connue porte le doux nom de SMSS J031300.36-670839.3. Elle se trouve à 6000 années-lumière dans la constellation de la Dorade, donc dans notre propre Galaxie. Son âge est estimé à 13,6 milliards d’années et l’étoile serait donc née moins de deux cents millions d’années après le Big Bang.

Cette étoile a été découverte par le télescope SkyMapper à l’observatoire de Siding Spring près de Coonabarabran en Australie. Ce télescope de 1.35 mètre de diamètre a un champ très large de 5,7 degrés carrés, soit 29 fois la pleine Lune. Sa mission est d’établir une carte du ciel de l’hémisphère sud, le Southern Sky Survey, l’équivalent du Sloan Digital Sky Survey de l’hémisphère nord. Ce type de relevé du ciel permet en particulier la recherche d’étoiles très anciennes formées pendant les premières centaines de millions d’années de l’Univers.

Rappelons que ce sont des réactions nucléaires qui font briller les étoiles, réactions dans lesquelles des noyaux fusionnent pour former des noyaux plus lourds en libérant une énergie qui permet aux étoiles de briller. La nature des noyaux en jeu dépend de la composition initiale du nuage de gaz qui forme l’étoile, mais aussi de la masse initiale de celle-ci. En effet, plus une étoile est massive, plus elle a de carburant, donc plus sa température centrale peut augmenter et créer des noyaux complexes.

Puisque la succession de générations d’étoiles augmente la complexité chimique de l’Univers, le meilleur moyen d’identifier des astres anciens est de rechercher des étoiles très pures, pauvres en éléments lourds, donc composées des seuls éléments disponibles en quantités appréciables juste après le Big Bang : l’hydrogène et l’hélium.

SMSS J031300.36-670839.3
L’étoile SMSS J031300.36-670839.3 se trouve à 6000 années-lumière de nous dans la constellation de la Dorade. Sur la voûte céleste, elle apparait à mi-chemin entre le Grand et le Petit Nuage de Magellan. Crédit : Australian National University/Stefan Keller

Une étoile de deuxième génération

L’étoile SMSS J031300.36-670839.3 contient quelques traces d’éléments lourds, mais si ténues qu’il s’agit probablement d’une étoile de deuxième génération, c’est-à-dire née à partir des résidus des premières étoiles à avoir illuminé l’Univers.

L’analyse de la composition d’une étoile nous permet en effet d’avoir une bonne idée des conditions chimiques lors de sa formation. Dans ce cas précis, notre astre aura été précédé d’une étoile plus massive de la première génération stellaire (environ 60 fois la masse du Soleil). Cette première étoile aura explosé sous forme de supernova et aura dispersé autour d’elle ses éléments lourds. Le nuage contenant cet astre primordial se sera finalement effondré pour donner naissance à une nouvelle étoile encore très pure, SMSS J031300.36-670839.3, contenant 10 millions de fois moins de fer (l’élément lourd typique) que le Soleil.

L’étude des étoiles les plus anciennes nous permet ainsi de mieux comprendre la formation et l’évolution chimique de notre Galaxie et de l’Univers. Par exemple, la concentration très faible de fer dans J031300.36−670839.3 est une indication que les explosions de supernova à cette époque reculée devaient être moins énergétiques que de nos jours. La première étoile n’a ainsi pu éjecter que ses couches externes, qui contenaient du carbone et du magnésium, mais pas sa partie centrale où étaient concentrés les noyaux plus lourds comme le fer (qui auront été absorbés par le trou noir formé par le résidu de l’étoile).


Mis à jour le 13 octobre 2019 par Olivier Esslinger