La matière noire exotique

Sudbury
Le détecteur de l’observatoire de neutrinos de Sudbury au Canada pendant sa construction. Cet observatoire a été opérationnel entre 1999 et 2006. Crédit : Ernest Orlando/LBNL/SNO

La matière ordinaire, ou baryonique, ne peut pas à elle seule expliquer toute la masse cachée des galaxies. Les résultats du satellite WMAP ont confirmé en 2003 qu’il existe une matière non baryonique, aussi qualifiée d’exotique, qui constitue 83 pour cent de la matière totale de l’Univers. Les astrophysiciens doivent donc faire appel à de nouvelles particules pour expliquer ce mystère.

Les neutrinos

Une première possibilité est le neutrino, une particule bien connue qui interagit très faiblement avec la matière ordinaire. Proposé en 1930 par Wolfgang Pauli et détecté pour la première fois en 1956, le neutrino fut longtemps considéré comme une particule de masse nulle comme le photon. Cependant, le détecteur Super-Kamiokande au Japon a prouvé que ce n’est pas le cas en 1998 en détectant un phénomène appelé l’oscillation du neutrino qui n’est possible que si la masse de la particule n’est pas nulle.

Le neutrino a donc une masse, très faible mais non nulle. Cette masse n’a pas encore pu être déterminée avec précision, mais, selon sa valeur, les neutrinos pourraient expliquer une partie de la matière noire exotique. En effet, avec une densité moyenne de 100 particules par centimètre cube, les neutrinos sont très abondants dans l’Univers, bien plus que les protons ou les neutrons. Même si la masse d’une seule particule est très faible, leur grande abondance pourrait bien permettre aux neutrinos d’apporter une contribution majeure à la densité de l’Univers.

Les détecteurs de neutrinos

Le neutrino est une particule dépourvue de charge électrique et de masse très faible. La probabilité de réaction entre un neutrino et une particule ordinaire est extrêmement faible. Le seul moyen d’en capturer est donc d’augmenter les chances de rencontre en construisant un détecteur contenant une énorme quantité de particules ordinaires.

Ceci fut tenté pour la première fois en 1967 dans une mine d’or à Homestake dans le Dakota du Sud. Le détecteur consistait en une cuve contenant 400.000 litres d’une substance chlorée. Même si l’immense majorité des neutrinos passait sans problème à travers la cuve, il arrivait que l’un d’eux interagisse avec un noyau de chlore. Celui-ci se transformait alors en un noyau d’argon qui à son tour se désintégrait rapidement. C’est le résultat de cette désintégration qui pouvait être facilement détecté et révéler la capture d’un neutrino.

Depuis cette époque, d’autres détecteurs ont été construits, basés soit sur un principe similaire, soit sur la détection de l’effet Cerenkov (l’équivalent pour la lumière de l’onde de choc d’un avion qui passe le mur du son). Ces détecteurs sont tous placés dans des zones souterraines pour réduire au maximum l’interférence des rayonnements cosmiques qui risquerait de fausser les résultats.

On peut citer en particulier l’expérience Gallex opérationnelle entre 1991 et 1997 dans le tunnel de Gran Sasso en Italie avec 30 tonnes de gallium en solution, l’observatoire de Sudbury au Canada qui a fonctionné entre 1999 et 2006 avec 1000 tonnes d’eau lourde et le détecteur Super-Kamiokande à Kamioka au Japon en opération depuis 1996 avec 50.000 tonnes d’eau.

Plus récents et plus exotiques encore, on trouve le réseau AMANDA (devenu le télescope IceCube en 2005) au pôle sud géographique avec des détecteurs placés sous plus de 800 mètres de glace depuis 1993 et le projet ANTARES aves des détecteurs placés au large de Toulon sous 2500 mètres d’eau depuis 2008.

Ces détecteurs ont confirmé la masse non nulle du neutrino mais n’ont pas pu mesurer cette masse et le problème de la contribution des neutrinos à la densité de l’Univers n’est toujours pas résolu définitivement. Les expériences indiquent néanmoins que la masse du neutrino est trop faible pour que cette particule ait un impact significatif sur la matière noire.

Les particules massives à faible interaction

Le neutrino n’est pas le seul candidat exotique. Dans leur quête d’une description définitive des constituants de la matière et de leurs interactions, les physiciens des particules ont développé toute une panoplie de particules hypothétiques aux noms plus étranges les uns que les autres. On peut citer par exemple le neutralino, une particule prévue par la théorie de la supersymétrie, ou le photon de Kaluza-Klein. Ces particules sont désignées collectivement sous le nom de particules massives à faible interaction (WIMP en anglais).

Comme le neutrino, ces particules théoriques interagissent très faiblement avec la matière ordinaire car elles sont insensibles à la force nucléaire forte et à l’interaction électromagnétique. Elles sont néanmoins soumises à la force nucléaire faible et à la force gravitationnelle. Elles seraient donc en particulier attirées par les galaxies et devraient former de gigantesques halos autour d’elles. Contrairement au neutrino, leur masse devrait être assez élevée et elles se déplaceraient donc beaucoup plus lentement que la vitesse de la lumière.

Détecter les particules massives à faible interaction

Les particules massives à faible interaction (WIMP en anglais) sont hypothétiques et n’ont jamais été observées de façon certaine à ce jour. Capturer ces particules n’est pas une mince affaire mais de nombreux projets ont néanmoins vu le jour.

On peut citer en particulier l’expérience DAMA/LIBRA dans le tunnel de Gran Sasso depuis 2003 (anciennement DAMA/NaI entre 1996 et 2002), la collaboration CRESST dans le même laboratoire depuis 2003, le projet CDMS dans une mine de fer du Minnesota depuis 2003, l’expérience CoGeNT dans le même site depuis 2009 et l’expérience EDELWEISS dans le tunnel routier du Fréjus depuis 2006. Ces projets s’appuient sur le fait que même si l’interaction de ces particules avec la matière ordinaire est très faible, elle existe et il doit être possible de la mettre en évidence.

En guise d’exemple, le détecteur de l’expérience CDMS est constitué d’un gros cristal de germanium refroidi à quelques millièmes de degrés du zéro absolu pour faire disparaître toute agitation thermique. Du fait du mouvement de la Terre par rapport au halo de matière non baryonique, une multitude de particules massives à faible interaction traversent le détecteur chaque seconde. Il arrive, très rarement, que l’une d’entre elles interagisse avec un noyau de germanium.

Cette particule introduit alors une quantité infime d’énergie dans le détecteur et y crée une très faible ionisation. En mesurant en permanence la température et la charge électrique du cristal, il est théoriquement possible d’observer le phénomène, donc de détecter les particules exotiques. Le nombre de détections est évidemment très limité, en théorie de l’ordre d’une tous les 10 jours pour un détecteur d’un kilogramme. Notons que les signaux parasites dus à d’autres particules peuvent être détectés en analysant soigneusement la quantité d’énergie déposée et la charge électrique créée.

Les expériences DAMA/LIBRA, CRESST et CoGeNT ont toutes les trois annoncé des détections positives mais, étant donné la complexité de ces expériences, le risque de fausse alerte et le manque de concordance entre les différentes mesures, aucun consensus sur la validité de ces détections n’a pour l’instant été obtenu dans la communauté scientifique.

Les autres candidats à la matière noire exotique

Comme les contraintes observationnelles sont très limitées, les théoriciens ont encore beaucoup d’autres candidats. L’axion est une particule proposée dans le cadre de la chromodynamique quantique. Le gravitino est le partenaire du graviton en supersymétrie. Le neutrino stérile est un type hypothétique de neutrino qui serait insensible à la force nucléaire faible. Et le choix ne s’arrête pas là…


Mis à jour le 12 janvier 2022 par Olivier Esslinger